Parler de la mort ou se taire ?

Sébastien Lilli de l'INREES m'a demandé de jeter un oeil sur le dernier reportage qu'il venait de réaliser "sentiments d'éternité". Les questions abordées sont : "Peut-on parler de la mort pour vivre mieux ? Que se passe-t-il vraiment quand la vie s'arrête ?". J'étais à la fois flattée par ce partage, mais un peu angoissée à l'idée de le visionner.

J'ai toujours eu conscience que la mort était une des dimensions de la vie, qu'il fallait l'accepter avec simplicité. Mais les derniers évènements de ma vie m'ont rendue plus fragile, tout simplement parce que la mort on n'en parle pas. Ca dérange, ça met mal à l'aise. Pourtant souvent, je vous avoue, j'ai besoin d'en parler.

Alors ici, je vais faire tomber ma pudeur pour partager cela avec vous.

On imagine le corps résistant. Parce qu'on l'a toujours vu comme cela. Ma mère ne faisait pas son âge. On lui donnait facilement 10 ans de moins. Mais quelques jours après l'annonce de la maladie, son corps s'est transformé. Elle est devenue si fragile, si maigre. Comme si un nombre incalculable d'années l'avaient rattrapée. Ce fut mon premier choc, voir ma mère qui ne pouvait plus assurer elle-même ses fonctions essentielles. Un claquement de doigt et l'énergie s'en va.

Rentrer dans sa chambre était le moment que j'attendais le plus dans la journée mais il était aussi ma plus grande angoisse. Parfois sans jamais le lui dire, je restais quelques minutes dans le couloir, pour rassembler mes forces. Pour rentrer l'air normale, pleine de joie. Je tenais le cap, je riais, je prévoyais. Puis je sortais et au bout du couloir, je m'effondrais.

Sa mort, ma mère n'en n'a jamais parlé. C'était sa façon de ne pas abdiquer.

Ce jour-là j'aurai dû rester sur Paris, mais je ne sais pas pourquoi, j'ai voulu rentrer à Troyes. Je suis venue la voir, son état physique était à peine supportable. J'étais terrifiée, je me suis assise à côté d'elle et je l'ai cajolée pour adoucir l'horreur de la situation.

La nuit tombée, j'ai cauchemardé. Je la rêvais immobile dans son lit, un air cadavérique, bouche bée, les traits figés. Je me suis réveillée en criant.

Assise dans mon lit, absourdie par le choc de ce rêve. J'ai tourné machinalement le visage vers mon réveil 4:50 du matin, c'était tôt, trop tôt. J'ai décidé de me lever, je me suis fait un thé. Puis j'ai mis une musique au hasard "I'm walking on sunshine" et me suis laissée bercer par les paroles de cette chanson.

Un demie-heure plus tard, on m'annonçait la mort de ma mère.

En allant chercher les documents administratifs, j'ai découvert l'heure de son décès 4:50.

Comme, l'une des personnes du reportage, j'ai pris ce rêve pour un aurevoir. Et je partage son opinion, une partie de nous meurt avec l'être cher. Une autre partie revit plus intensément, plus librement, avec une belle dose d'envies.

J'ai été touchée par ces témoignages et souvent je les rejoins. Vivre cela, m'a permis d'oser aimer. Le fait que je puisse mourir un jour m'indiffère mais je garde en moi cette notion si vibrante : ne perdons pas de temps !

Je vous conseille ce reportage qui donne la parole à des témoins dont l'histoire n'est pas toujours facile à partager en public. Si ces thématiques vous intéressent, sachez qu'elles sont abordées dans le prochain numéro du magazine n°14 Inexploré.

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14 comments

  • Arkadia says:

    Ton histoire me rappelle étrangement la mienne.
    Ma mère a été hospitalisée début décembre dernier. Lors de son transport, elle a fait un arrêt cardiaque dans le camion du SAMU. L'arrêt lui a en quelque sorte "grillé le cerveau"......son agonie a duré trois semaines, trois semaines de calvaire pour moi. J'allais la voir une fois que je m'étais occupé des enfants le soir, ou quand j'avais 5 minutes.
    Un matin, mon fils étant malade j'ai été obligée de le garder à la maison. Les soins intensifs m'ont appelé car sont état s'était aggravé sauf que ne pouvant pas emmener mon fils j'ai laissé passer la journée, j'ai fait des cadeaux de Noel (pour mes enfants).
    En revenant vers 17h30, la radio s'est mise à diffuser "ain't no mountain high enough" j'ai pensé à elle .....puis vers 17h45 sur la route en allant chercher ma fille ce fut les Pogues les fairytales...je me suis à pleurer. Une demie heure plus tard mon mari arrivé à l'hôpital (il allait souvent la voir le soir) m'a annoncé sa mort.
    J'ai pris ces coïncidences d'écoute musicale comme un clin d’œil lié au hasard de la programmation. C'était surement un au revoir ou un message subliminal, je ne saurai jamais.
    J'ai aussi pris conscience d'une chose c'est que j'aime mon mari plus que je le croyais et que ce sera la mort qui nous séparera.

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    • TheCélinette says:

      Merci pour ton témoignage et pour cette belle conclusion.

      J'aime particulièrement cette chanson "ain't no mountain high enough" est l'une de mes chansons préférées.

      J'aime ces clins d'oeil de la vie. On se saura jamais vraiment mais ça interpelle :)

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  • Epikurienne says:

    Par pudeur, je n ai osé t'en parler...à tord peut-être.
    Des bisous

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    • TheCélinette says:

      Ne t'en soucie pas ma douce. Ton sourire et ta bonne humeur sont l'un des plus jolis réconforts.

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  • Julie says:

    Pfiuuuu je ne sais que dire. Tellement de points communs avec toi à travers ce témoignage à une exception près: je ne me fous plus de ma mort depuis que je suis devenue maman. Pour le reste, parler de la mort est nécessaire, mais à qui? J'ai pour ma part plutôt peur d'indisposer les gens alors je n'en parle pas. Sûrement bientôt sur mon blog, je ne sais pas.
    Des bises.

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    • TheCélinette says:

      Je pense aussi que cela changera avec la maternité.
      Merci pour ton témoignage :)

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  • Hélène Schild says:

    Merci Celinette pour ce beau témoignage.
    Ma mere est aussi partie trop jeune et bien trop vite. 1 mois et demi...
    Comme toi, j'allais rendre visite à ma mère chaque jour et c'était une joie à l'idée de passer l'apres-midi avec elle. Si un événement me retardait, cela me contrariait au plus haut point. Moi aussi je prenais une grande respiration avant d'entrer dans sa chambre...
    Avec les jours, je me sentais de plus en plus chez moi (chez nous) à l'hôpital, même si, assez vite j'ai compris que la fin était inéluctable et se rapprochait. Pas de diagnostic précis, pas de réponses claires à nos questions, l'angoisse de ne pas savoir, de deviner à travers les maux, les mots et les situations, la perte des forces de ma mère, sa dépendance, l'angoisse que l'on ne puisse rien tenter pour la sortir de là... Malgré tout, l'espoir était omniprésent comme si une fée allait sortir d'un conte pour trouver la solution, le bon traitement.
    Avec ma mère nous n'avons pas parlé de la mort, elle peut-être parce que ça l'angoissait, moi par pudeur et pour ne pas l'angoisser davantage. Et puis on y croyait, on voulait y croire comme si cette volonté de croire serait plus forte que tout !
    Je suis heureuse pour elle car elle est partie sans douleur et en douceur mais je reste en état de choc, abasourdie. Une partie d'elle vit en moi. Ses gènes, son éducation, tous les souvenirs...
    Voilà il va falloir apprendre à vivre autrement, sans elle, un nouvelle naissance en quelque sorte.
    Je t'embrasse très fort si tu me permets,
    Je pense bien à toi,
    Hélène

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    • TheCélinette says:

      Merci Hélène pour ce beau témoignage qui m'a tant touché. Moi aussi j'ai gardé l'espoir jusqu'au bout. Un jour un médecin m'a dit, il ne faut pas reprendre espoir. Moi je crois que l'espoir c'est la vie. Je ne regrette rien ;)

      A très bientôt.
      Je t'embrasse à mon tour.
      Céline

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  • Lu says:

    Peu de temps avant les fêtes, j'ai rêvé que mon grand père me téléphonait. Je ne comprenais pas ses paroles qui sonnaient comme des onomatopées. Alors j'allais à Troyes pour le voir, mais je le voyais étendu, mort sur son lit.
    A mon réveil, Maman m'a appelée pour me dire qu'il fallait que je rentre à Troyes car Papou commençait à perdre la tête. On ne comprenait plus toujours ce qu'il disait. Il avait du mal à s'exprimer, et il souffrait beaucoup. Je suis rentrée là bas avec la sensation très forte que c'était ma place. C'était tellement difficile de voir mon grand père chéri, tel mon deuxième papa, d'habitude si dynamique et drôle, dans cet état. Je me suis occupée de lui le plus possible. J'ai veillé sur lui, l'ai nourri tel un enfant, soigné, etc... Je lui ai achetée un petit sapin en bois, illuminé pour qu'il reste toujours dans "la lumière" quoi qu'il arrive. Je lui racontais des conneries, comme à l'accoutumée. J'avais de la chance car avec moi, il était très lucide. Il arrivait encore à rire un peu.
    Mais le lendemain de Noël, malgré sa lutte acharnée, et nos soins perpétuels, nous avons malheureusement été obligées de nous résigner à le mettre en soin palliatifs car nous ne pouvions plus le soulager. D'ailleurs, heureusement que tu m'avais rassurée sur le service du compte Henry ma Douce, car c'est un argument qui nous a aidées à prendre la décision.
    Maman et ma tante n'osaient pas parler de la mort, surtout avec lui, car il n'était pas du genre spirituel, et elles pensaient le préserver en agissant comme si de rien n'était. De plus, dans ma famille, nous sommes assez pudiques côtés sentiments et sujets émotionnels.
    Or, je ressentais vraiment sa peur, malgré son incapacité à parler de plus en plus grande. Il luttait, et souffrait... et contrairement à ta Maman, Papou était en fin de vie et avait subi en début d'année une opération très lourde. Il n'était plus question de rétablissement, mais d'accompagnement.
    Alors le soir, à lumière tamisée, calme, je me suis mise à son chevet, et je lui ai demandé s'il avait peur. Il me répondit que oui. Je lui ai alors dit que je savais ce qu'il se passait après. "Tu sais, ce n'est pas la fin!" "Ah bon?" M'a-t-il dit difficilement. Je n'oublierai jamais son regard. Je lui ai expliqué tout ce qui allait se passer pour lui, physiquement, ce qu'il allait ressentir... Qu'il allait se sentir de plus en plus léger et que la douleur allait disparaitre peu à peu... Qu'il allait voir une lumière magnifique, et qu'il allait retrouver des proches qui l'attendent, ses parents... Qu'il continuerait à nous voir même s'il s'aperçoit que nous ne pourrions lui répondre. Bref, je lui ai dit que tout allait bien se passer. Mais que pour cela, il fallait à présent qu'il cesse de lutter, et qu'il se laisse aller, car ce n'était pas la fin, qu'il serait toujours avec nous...
    Il m'a entendu, cet homme très cartésien, pas spirituel pour un sou... et il s'est apaisé. Il avait le regard d'un enfant effrayé par le noir, que sa maman venait de consoler.
    Le lendemain, dans son sommeil je lui ai fait mon baiser d'Adieu car je repartais par le train. Je savais que "ma mission" était achevée. Je lui ai dit à l'oreille que je l'aimais, qu'il pourrait venir me voir aussi souvent qu'il le souhaitait, et que je repartais vivre ma vie à Paris.
    Sur le quai de la gare, j'ai raconté à Maman ma discussion avec Papou, et que contrairement à ses craintes, le fait de lui avoir parlé de la mort l'avait rassuré. J'ai vu alors que ça l'avait elle-même apaisée.
    Le lendemain matin, Jeudi 29 Décembre, Maman m'annonçait qu'il était parti.
    Je n'ai même pas pleuré, car je savais, et je ressentais comme une libération, la fin de ses souffrances. J'avais la sensation d'avoir accompli comme "une mission"... d'avoir fait quelque chose de bon.
    Il n'y a pas un jour où je ne pense pas à lui. Je pleure plus maintenant, car il me manque tellement! Mais comme tu m'avais dit avec ta Maman, je ressens sa présence. Il est toujours avec moi.
    Je m'aperçois que nous ne nous sommes pas vraiment vues depuis, et que c'est la première fois que je t'en parle :)
    Je n'ai aucun mal à parler de la mort. Au contraire... J'ai la chance d'avoir la foi en le fait qu'elle n'est pas vraiment une fin, mais une autre étape, qui étrangement pour certains, ne me fait pas peur. Peur de la souffrance, oui. Peur de laisser mes proches, de les peiner... Mais pas la peur de partir! Et savoir ce monde de l'après si présent, est une force qui m'aide à mieux vivre ma vie.
    Tendres baisers remplis de lumière ma belle amie de coeur!

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  • petite parisienne says:

    Des bisous la miss :)
    J'aime aussi cette idée d'au-revoir dans le rêve... Quoiqu'en disent certaines personnes c'est en général très fort quand on le vit et très personnel. Rêver de ma maman m'a beaucoup aidé comme je ne lui ai pas dit au revoir ni que je l'aimais avant sa mort...

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  • Geekette says:
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  • Yann says:

    Bonsoir Céline,
    en parler et ne pas se taire ... pas de sujet tabou ...juste un peu de pudeur pour préférer le commentaire sur le blog plutôt qu'un Tweet.
    J'ai vu dimanche mes parents pour fêter l'anniversaire de mon père (88ans)
    ma mère a 84 ans. Il m'arrive assez fréquemment de méditer qu'ils ne sont pas physiquement éternels, et qu'ils partiront un jour pour un monde que l'on prétend meilleur. Lorsque ce moment arrivera, indépendamment de l'immense peine qui me frappera, il me semble important de continuer à les laisser vivre dans ma tête puisqu'ils seront toujours présents dans mon coeur.
    Affectueuses pensées
    Courtoisement
    Yann

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  • Louis says:

    58 ans, en forme, la mort me chatouille ! Retraite et moments de simplicité, je vis au présent sans plus. Présent, à savourer chaque instant ...un bon café... Un moment d'amusement avec mes chiens ... un moment ...présent à être bien et heureux .... Simplement...
    Depuis un certain temps, je désire en s'avoir plus sur la mort ...et votre reportage m'aide à imaginer la mienne.
    MERCI de cette ouverture .... MERCI. !

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  • Sandrinette says:

    Bonjour "Célinette",

    J'ai trouvé votre blog par hasard, et y ai trouvé tant de ressemblances dans certains articles que c'en est troublant.
    Ce dernier article est particulièrement poignant et me renvoit à ma propre douleur, ma maman ayant apprit qu'elle était desormais en soins palliatifs, songeuse lorsqu'elle eu à enterreser les cendres de notre chien, se sachant condamnée, terrorisée lorsque, fatiguée, les médecins lui ont recommandé de partir en maison de repos. Un jour plus tard elle y faisait son avc. Elle est bien partie, toujours trop tôt, mais à temps pour ne pas avoir à souffrir plus de la lente dégradation de son état de santé ( cancer de l'utérus... ).
    Dans les moments difficiles, il m'est arrivé de faire des rêves très particuliers, d'une réalité troublante. Toujours j'en sortais appaisée, réconfortée, éclairée, et finalement, tous les épitaphes du monde ne sont rien que du vent. Les êtres aimés sont toujours présents, vivants quelque part au fond de nous... Et nous font avancer.

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