Tag

maladie

Browsing

… Et ce soir, je vous avoue que je ne le suis pas non plus. Un peu comme un élastique qu’on aurait tendu le plus possible et qui vous claque le visage quand il perd toute résistance.

Il y a un an, j’utilisais toute mon énergie pour lutter contre l’inertie, contre un diagnostic écrit. Une phrase peut changer toute votre vie « votre mère a un cancer du pancréas ». Quelques mots et tout votre quotidien vole en éclat. Je l’ai regardée. Elle m’a serré la main. Pour la première fois de ma vie, j’ai vu des larmes rouler sur les joues de ma tante. Puis on a fait comme on a pu, on s’est organisée.

En 15 jours, elle est devenue impotente. Ma mère, pour rester mère, m’a dit que tout allait bien. Moi pour rester sa fille, j’ai dit que j’allais bien, j’ai fait de l’humour et je l’ai chouchouté comme j’ai pu. Puis s’installe cet étrange bal, au cours duquel ma mère digne et courageuse n’a jamais rien dit de ses peurs et où moi j’ai tue les miennes.

Alors on avance comme un petit soldat, pour préserver la dignité de sa mère à défaut de pouvoir la sauver. Et un jour, on se réveille en réalisant, que l’on a rien d’un petit soldat et qu’au cours de cet étrange voyage, on a sacrément pris du plomb dans l’aile.

Bonjour Madame, j’aimerai voir le médecin. Dans cette unité de soins palliatifs quatre médecins se relayent. Je n’en connaissais que deux. Le troisième vient de prendre sa semaine de garde. Je voulais la rencontrer.

Il y a quelques heures cette femme médecin se tenait face à moi. Je lui ai dit : j’aimerai vous parler parce que l’état de ma mère empire et que c’est dur pour elle. Elle m’a répondu « mais ça doit être dur pour vous aussi » Une chape de plomb s’est alors abattue sur moi. J’ai senti tout le poids de la façade que l’on dresse pour se protéger. Je n’ai pas bronché et ai évoqué tout ce qui pourrait améliorer la condition de maman.

Mais me sont revenus dans la face ces dernières images. Ma mère décharnée sur son lit. Son visage creusé et intubé jusqu’à lui faire perdre son apparence initiale. Ses yeux qui me regardent, les miens qui se perdent dans les siens. Ses quelques mots à peine audible. Moi qui comprend qu’elle veut un peu plus de morphine. Moi qui donne un clic de soulagement. Le bruit étrange de la pompe à morphine qui me prend un peu plus ma mère mais qui la soulage aussi. Mon impuissance à contempler tout ça, à retourner à ma propre vie derrière.

A cette question du médecin, je n’ai pas répondu parce qu’il n’est pas toujours facile s’épancher cette douleur là.

Si vous saviez, le nombre de questions plus ou moins cohérentes que je me pose, ces temps-ci.

Je me demande : « ça parle quel langage une tumeur ? ». Parce que moi, je lui dirai bien d’arrêter de coller l’aorte, que ça ne sert à rien, qu’elle n’acceptera jamais de danser avec elle. J’aimerais bien pouvoir engueuler les anti-corps aussi. « Hep vous, v’nez par là. Regardez la tronche de ces cellules. Vous foutez quoi bordel ? Faut me détruire tout ça! »

Et puis je me souviens de mes cours dans lesquels j’expliquais aux étudiants les notions de langage verbal et de non-verbal et l’importance de la congruence. Vous savez quand les mots et le corps parlent le même langage. Parce que tout à l’heure, je l’ai surpris ma mère, à manquer de congruence. Elle faisait mine d’aller bien, mais dans son regard j’ai senti la peur. Une peur terrible viscérale.

Ma mère on dirait qu’elle sort de Dachau, elle fait 46 kilos maintenant. Alors, j’ai serré fort sa petite main en priant très fort pour qu’elle croit en ma congruence quand j’ai souri. Elle m’a regardé, puis je me suis transformée en statue de sel, incapable de bouger, pétrie d’impuissance.

Elle m’a regardé droit dans les yeux et elle m’a dit de rentrer. Alors, je lui ai obéit à ma petite maman.

Parce que mes deux dernières journées m’ont semblé être l’éternité, parce qu’à l’instar de Félix dans le Père Noël est une ordure, j’ai les jambes en coton-tiges, j’ai décidé d’aborder cette situation qui me ronge les tripes sous l’angle humoristique :

J’observe avec tendresse que même dans ces moments délicats, ma mère connait parfaitement mes goûts, et plus particulièrement mon addiction à Apple. Elle a déclaré le même cancer que Steve Jobs (cancer du pancréas). Face à la maladie, il faut avoir le courage de regarder la vérité en face.  En remplissant pour ma mère,  le formulaire pré-anesthésie, j’allais répondre à la question « avez-vous des allergies … au préservatif ».  Quand j’ai demandé : « dis-donc maman, il a prévu de faire quoi exactement avec toi, ce médecin ? »

Il faut savoir dans ces moments mettre tout en place pour que la quiétude du patient soit privilégiée et voir la vie du bon côté.  Aujourd’hui, je retrouve ma mère alitée devant la télé.

  • Tu regardes quoi ?
  • Maigret
  • Ah
  • Je l’ai déjà vu 3 fois cet épisode.
  • Ah ben c’est bien, t’aura pas de choc émotionnel quand il va révéler le nom du tueur.

Voir sa mère se tordre de douleur, c’est assez insoutenable. Tout à l’heure, je n’en pouvais plus. Je me suis levée pour aller voir les infirmières. Là, je m’attendais à les trouver dissertant dans un jargon médical sibyllin quand j’entendis « la patiente, elle avait de ces nibards j’te jure ». « Mesdames, bonjour ! ».

Moi je dis que dans des situations aussi critiques toutes les thérapies sont à envisager. C’est alors que j’ai suggéré à maman de prier Jean-Paul II, lui affirmant que s’il avait sauvé une femme de Parkinson, il allait pas chipoter avec une tumeur de 4 cm. Je lui ai affirmé que la tumeur allait disparaître laissant place à une petite cicatrice en forme de Jesus en croix qui se verrait au scanner. Que nous allions le revendre sur Ebay et devenir riche. Les médicaments ne doivent pas bien marcher parce qu’elle ne m’a pas cru.

Ah j’vous jure !

Ma mère ça fait un bout de  temps que sa santé m’interpelle. Elle se plaignait du ventre. Elle est allée voir deux médecins (son médecin traitant puis son remplaçant). Ils lui ont donné des médicaments pour ne plus qu’elle ait mal au ventre. Mais ma petite maman, elle restait alitée et sans vraiment manger. Elle est retournée voir le médecin généraliste, qui lui a dit « ah mais ça c’est tout à fait normal ma p’tite dame. C’est la vésicule biliaire qui déconne, il faut la retirer ».

Puis tout à l’heure, nous sommes allées à la clinique. Quand j’ai vu ma mère, j’ai cru qu’elle voulait passer un casting avec Bruce Lee. Je ne pensais pas qu’un humain puisse être aussi jaune. « C’est le foie qui morfle » m’a t-elle dit. Bon d’accord. Le chirurgien, lui pensait que c’était quand même pas sur que ce soit la vésicule et qu’avant de retirer la bête, un scanner ça serait bien. Môman a passé son scanner. On a attendu et nous sommes retournées voir le chirurgien. Là, il nous a dit : « au scanner, ils vous ont dit ? » On a pas voulu avoir l’air bête, on a dit « oui ». Rassuré, il a poursuivi « bon alors pour ce genre de cancer du pancréas … « .

Il y a des instants qui changent à jamais votre réalité. Il y a quelques heures, j’ai vécu l’un de ceux là.